Cher Ivan,

Je suis content que les choses se passent bien. Évidemment, vous êtes toujours au travail et sur un sujet très intéressant ! Je vous remercie beaucoup pour l’invitation.

Il y a plusieurs points sur lesquels l’expérience de ces dernières années m’a fait méditer: La question du besoin d’activité, peut-être d’action, dans la terminologie de Hannah Arendt (écrivain avec qui je me bats ces jours-ci), est confondue avec le thème du travail, qui est une question de vie, de survie, d’auto-prise en charge, et sur le thème du travail, en tant que producteur, deux choses qui sont généralement très loin de la capacité de beaucoup de personnes touchées par l’autisme, qui pourtant ont le droit à l’action, à cette activité. La manière dont cette activité est exprimée est problématique, car comment parler de droits concernant des activités que nous pourrions parfois appeler en termes freudiens du «masochisme primaire»?

Il est également confus – et c’est parce qu’il y a des intérêts professionnels très établis et même politiques, plutôt que parce que les difficultés proviennent de ceux qui sont touchés – l’intégration est confondue avec l’inclusion (l’inclusion est une question de droits, non d’homologation aux autres). Ainsi, la ségrégation est considérée comme quelque chose d’interdite quand il est parfois nécessaire de maintenir ces droits. Mais allez, dire quelque chose de cela aux ABA!

La controverse entre le modèle de la guérison et celui de la neurodiversité, que j’ai suivie pendant un certain temps à travers quelques pages anglo-américaines, s’est révélée aussi rigide que stérile et n’admet aucun compromis non plus. La vérité est que l’ignorance du bon sens et de la Convention sur les droits des personnes handicapées – ou la manipulation de celle-ci pour les intérêts des autres – est ce qui commande. Et nous ne devrions pas être surpris qu’une étude récente de l’Institut Karolinska (ceci est la Suède!), nous dit que la mortalité chez les personnes touchées par l’autisme est scandaleusement élevé, quelque chose comme vivre 30 ans de moins que la moyenne, et autant que je sache, vous ne pouvez pas excuser, comme dans le cas de la schizophrénie, que fumer est une cause, parce que je n’ai pas rencontré un autiste qui fume. Se pourrait-il que tant d’intégration, tant de guérison et tant de neurodiversité n’aient pas fonctionné et qu’un peu plus de bon sens et de respect pour la Convention sur les droits des personnes handicapées ne serait-il pas plus utile?

Je n’ai aucun doute que les personnes autistes ont le droit de participer aux décisions et aux plans qui les touchent autant que les individus et leurs familles. Le problème est de savoir comment! L’identification et l’empathie, la connaissance des aspects cognitifs de l’autisme, l’analyse d’études rigoureuses de plusieurs interventions, la présomption que de nombreux comportements sont normaux à l’origine, mais mal articulés par la suite dans le monde, sont des conditions nécessaires pour comprendre comment soutenir cette participation, mais sa mise en pratique n’est pas facile. Bien sûr, dans ma lutte avec l’administration, je me suis posé des questions : comment mon fils aimerait-il résoudre son adaptation à l’école avec l’aide de neuroleptiques s’ils peuvent provoquer des akathisies ou des dyskinésies supposées très désagréables? Aimerait-il prendre en compte que cette adaptation dure généralement peu de temps et est subordonnée à l’autorisation de l’enseignant ou du psychologue de service plus compétent de penser que la faute est due au désordre de mon fils? Serait-ce bon pour mon fils, qui mange tout et bien – à l’exception des bonbons – et ne souffre pas d’obésité, qui a un appétit compulsif et devient comme un ours? Et, comment celle-ci, tant d’autres questions…

Ramiro après près de quatre ans d’exclusion illégale, et un combat qui, vous le savez, est arrivé jusqu’à la Cour suprême de justice, a été admis dans un centre de jour, avec un petit module spécial pour les jeunes avec le profil de l’autisme, à la périphérie de Huesca, où il est accueilli déjà depuis deux ans. Il est heureux et les gens sont surpris qu’il ne soit pas le monstre qu’ils craignaient. Il fait ses choses et bien que nous aimerions canaliser son activité sous forme de labeur ou même de travail, ce n’est ni facile pour lui ni pour un centre comme celui-ci, avec beaucoup des diversités à traiter. Ce qui est bon à bien des égards, mais pas pour donner des solutions spécifiques à ce travail qui n’implique pas l’activité productive standard.

Nous acceptons que pour le moment ce ne soit pas le cas. Et j’ai encore des rêves occasionnels dans lesquels mon fils parle. Même dans un rêve, il est venu avec un ami. Ses comportements provocateurs, tels que déchirer les vêtements presque tous les jours et rester à moitié nus, ont diminué jusqu’à ce qu’ils aillent presque disparus. Pour d’autres comportements qui l’excluent un peu moins, tels que déchirer le papier en fines bandes, nous nous sommes adaptés, à la fois extérieurement et subjectivement. Comme d’autres, Ramiro aime mieux être avec les gens de son âge qu’avec ses parents, se coucher tard et être un peu rebelle.

C’est-à-dire que beaucoup de ses besoins sont les mêmes que ceux de son frère, mais il ne sait pas comment les articuler de manière plus pragmatique. Cet été, il est allé dans un camp pour la première fois et a recommencé à aller au cinéma et aux concerts avec d’autres personnes autistes. A cause de la lutte que j’ai dû entretenir, parfois épuisante, je crois avoir le droit de dire que l’administration se comportait de manière tyrannique et obscène, dans le seul but de garder quelques égos impunis et d’économiser un peu d’argent. Nous avons demandé l’impossible, en demandant qu’il y aille dans un centre local, et de prendre en compte ses droits, ses limites et son profil autistique? Bien sûr, pour ce qui est de demander une indemnisation, les avocats nous ont dit qu’après tant de délais, de ressources, etc., la chose avait déjà été prescrite. Il a coûté de l’argent et des heures et des heures d’étude – comme je l’ai fait dans ma jeunesse – mais ça valait le coup. Je suis heureux pour moi et pour lui.

J’ai laissé tout ça derrière moi. Je vais dans mon jardin avec ma femme, je fais mon vin (cette année a été peu et mauvais pour la première fois depuis longtemps). Nous lisons beaucoup (je recommande fortement le Frankenstein de Mary Shelley, si possible dans n’importe quelle édition de 1818, annoté et commenté (C’est énorme!) Et nous continuons à nous battre, alors c’est pour cela que je ne vous promet rien pour Forum -Je suis désolé- , mais je vous envoie mes meilleurs vœux, tenez-moi au courant, si vous le voulez bien. À bien tôt.

 

17 janvier 2018

Huesca (Espagne)

 

Traduction : Mariana Alba de Luna